mardi 27 octobre 2015

Nineteen Something le label du rock souterrain

Nineteen Something est un nouveau label créé par Eric Sourice chanteur-guitariste des Thugs et ancien boss du label Black&noir, et Franck Frejnik ancien journaliste chez Rock sound et éditeurs des fanzines Violence et Slow Death.
Leur but est de nous (re) faire connaître les groupes  en version numérique ou digital des années 90 qui ont marqué nos esprits, tels que Casbah Club, Dirty hands, Skippies, Drive blind, Six pack, Cut the navel string, ou encore Garlic frog diet, etc.. Les deux «archivistes» qui effectue un vrai travail de fourmi ont répondu à cette interview pour nous raconter la naissance du label et ses projets.



Présentez-nous les responsables du label, et nous dire quel a été le déclic pour créer Nineteen Something ?
Frank : Les irresponsables sont deux : Eric Sourice et Frank Frejnik. Le premier est connu pour avoir fait partie du groupe Les Thugs, le second pour avoir gratté dans quelques fanzines et magazines rock entre 1990 et 2005 (Violence, Rock Sound, Punk Rawk, Hard’n’Heavy, Slow Death). En sortant deux disques des Thugs (le 10» KEXP et le LP live) sur mon label Slow Death, j’ai rencontré un peu plus souvent Eric, notamment chez Crash Disques où il bossait. On a commencé à fomenter des travaux en commun, comme des projets de compilation de groupes français peu connus ou des rééditions vinyles des Thugs et d’autres groupes de la même génération. On en est venu à parler de musique digitale, le catalogue des Thugs n’étant pas disponible, à l’époque, sur les plateformes légales de téléchargement et de streaming (ce que je trouvais un peu indécent pour un groupe de l’envergure des Thugs). On est tombé d’accord sur le même constat : il était dommage, pour ne pas dire dommageable, que tout un pan du rock français indépendant des années 80 et 90 soit absent d’Internet.  De fil en aiguille, on a décidé de regrouper nos forces et de lancer Nineteen Something, un label dont le but est de rendre disponible le (punk) rock français indépendant des décennies 80 et 90 en numérique et, pourquoi pas, aussi en «physique».

Nineteen Something est-il une suite logique de Black & noir ou c’est vraiment 
autre chose ?
Frank : Plus ou moins. Ce n’est pas la suite de Black & Noir, c’est une autre aventure, même si Eric est commun aux deux structures. Notre mode de fonctionnement est probablement similaire, mais nos objectifs diffèrent : Black & Noir aidait la scène rock indépendante de son époque à exister, alors que Nineteen Something essaye, 20 ans après, qu’on n’oublie pas cette même scène rock. Donc, oui, suite logique… 
Eric : Je comprends que l’on puisse se poser cette question au vu des premières sorties du label. Il est certain qu’il m’était plus facile de recontacter les groupes qui avaient fait partie de l’aventure Black & Noir mais on pourra voir au fil des mois que nous ne resterons pas cantonnés au Maine et Loire !


Vous êtes deux pionniers de la scène indépendante, pouvez-vous nous retracer votre parcours en tant que journaliste et musicien ?
Frank : J’ai démarré dans le fanzinat  en éditant de 1990 à 1995 le fanzine Violence. D’ailleurs, c’est à ce moment là que j’ai rencontré pour la première fois Eric. Je l’ai interviewé pour le numéro 3 de mon zine, c’était en 1990. Pendant cette période, où j’habitais à Saint-Etienne (42), j’ai participé à la scène locale en organisant des concerts, en animant des émissions de radio punk/hardcore, en éditant des disques de formations stéphanoises débutantes (Sixpack, World Pets, Switch Stance, Post Silly Poulps…) avec le label Bonanza Recordings. Par la suite, je suis devenu journaliste naturellement, mais aussi par hasard. J’ai d’abord bossé à Rock Sound et à Groove (un mag de rap), puis, passant de Saint-Etienne à Clermont Ferrand et de Clermont Ferrand à Paris, j’ai collaboré aux magazines de l’éditeur pour qui je bossais… jusqu’à prendre en charge les hors séries «punk» de Rock Sound qui deviendront le trimestriel Punk Rawk. J’ai pigé un peu à droite et à gauche après ça… jusqu’à devenir une sorte d’ «inactif» actif. J’ai monté un nouveau label, Slow Death, édité quelques numéros d’un zine du même nom, fait du graphisme pour des groupes et labels amis, etc. J’ai fait pas mal de trucs, mais je ne pense pas être un pionnier de la scène indépendante. Si je me suis investi, c’est parce que d’autres, avant moi, ont montré que c’était possible de le faire. 
Eric : Je pourrais dire pratiquement la même chose que Franck sauf que c’était à Angers et 10 ans plus tôt ! Fanzines, radios, organisation de concert, label, magasin de disque et puis les Thugs. Le DIY parce qu’il y avait tout à faire et parce que l’on ne faisait pas confiance à grand monde pour le faire à notre place !

Le label a été crée en 2014, avec déjà une liste de groupes impressionnants. J’ai l’impression de me revoir  des années en arrière avec Black & Noir. La liste va-t-elle s’allonger. Avez-vous des touches avec des groupes qui ne sont pas encore listez et pensez-vous élargir votre liste aves des groupes étrangers ?
Frank : Au début, on a été recruté autour de nous, des groupes que l’on connaissait depuis des lustres. Pour Eric, forcément, c’était facile d’aller chercher Dirty Hands, Casbah Club ou Hydrolic Systems… et pour moi, d’aller taper du côté de Saint-Etienne (Sixpack). La liste va bien entendu s’allonger au fil des mois. On va sortir du cadre Black & Noir (même si d’autres groupes du label rejoindront forcément Nineteen Something), on l’a déjà fait en accueillant Thompson Rollets, Skippies, Garlic Frog Diet, Parkinson Square, Les Soucoupes Violentes, The Chasmbrats, Les Maniacs… Notre objectif étant de rendre disponible la musique des groupes des années 80/09, forcément, le catalogue Nineteen Something rappellera des souvenirs à ceux qui ont vécu cette période. Des groupes étrangers ? Ça compte la Suisse ? Les Maniacs sont suisses. Mais on va se focaliser sur les groupes français. Il y en a suffisamment.

Comment se passe la connexion avec les groupes, comment les contactez-vous et comment réagissent-ils quand vous leur demandez de ressortir leur cd ?
Frank : On prend contact par email, puis on essaye de se rencontrer si c’est possible et ensuite on se tient au jus par email ou téléphone lors de l’avancée du projet. Les groupes sont en général plutôt favorables à notre requête. Ça leur fait plaisir. Et comme ils n’ont pas, pour la plupart, suivi le développement de la musique sur internet, ils sont heureux que quelqu’un s’occupe de dépoussiérer leur musique et la rendre à nouveau disponible.
Eric : Et puis il faut bien dire que ça permet de recontacter des amis que l’on a perdu de vue depuis un bon moment, de réécouter de putain de bons albums que l’on avait oublié en se disant que ça avait mal vieilli, et pour certains groupes de se reformer pour quelques concerts et de botter le cul à ceux qui doutent !

Les Dirty hands et Casbah club sont sortis sur différents suppports tels que digital, cd, numérique. Pensez-vous faire de même pour les autres groupes ?
Frank : Le but premier est d’abord de diffuser ces groupes sur les plateformes de musique en ligne, que ce soit en téléchargement (iTunes, Amazon, Google Play, etc…) et en streaming (Deezer, Spotify, Rdio…). Faire en sorte que les albums de ces groupes, pour la majorité splittés avant l’arrivée d’Internet, soient de nouveau disponibles. J’ai souvent l’impression que si on ne te trouve pas (facilement) sur Internet, tu n’existes pas. Le but est donc qu’en quelques clics sur internet, tu puisses écouter un des groupes que l’on distribue. Qu’il s’agisse d’un vieux fan nostalgique du groupe ou d’un kid désireux de découvrir ce qui se faisait en France il y 20 ou 30 ans. Mais on aime aussi les disques, les vrais, en dur, on pense donc éditer des vinyles et des CD. Ce sera au coup par coup. Selon les envies, l’intérêt et les finances. 
Eric : Ha ! Si on pouvait ressortir tous ces albums oubliés…..

Il y a quand même un travail de fourmi, rechercher les groupes, les contacter, les bandes, etc.. Comment cela se passe et qui s’occupe de ça ?
Frank : A nous deux, on connaît finalement pas mal de monde, ça aide pour contacter les groupes ou, à défaut, connaître quelqu’un qui connaît le groupe que l’on cherche. Cela dit, aujourd’hui, tout est tellement facile grâce à internet. Avec Facebook, tu peux pister n’importe qui. Ensuite, c’est aux groupes de faire un peu le ménage chez eux : retrouver l’audio et les infos liées qui vont avec. On tente «d’organiser» ça au mieux. Je mets des guillemets à organiser, parce que, bon, parfois, c’est pas tout à fait ça. Mais on finit toujours par avancer. A notre rythme, certes, mais on avance. Pour ma part, je m’occupe du côté graphique de Nineteen Something, les pochettes, les PDF, le site web, les flyers, etc… Eric, vu qu’il n’a pas peur des chiffres, s’occupe de l’administratif, les enregistrements IRSC, la comptabilité, etc.

Vous avez démarré le label Nineteen something avec les Thugs, ensuite les Dirty hands et Casbah Club ont suivi. J’en parlais avec Gilles (chanteur-guitariste) des Dirty hands, et je lui disais que la scène Angevine était quand même la vitrine du rock français des années 90. Pensez-vous justement que tous ces groupes là ont joué un rôle important dans le paysage musical français ?
Frank : Toute personne intéressée par le rock indépendant (alternatif / punk / hardcore / noise / etc) des années 90 sait qu’Angers était une sorte de mecque rock’n’roll d’où étaient originaires Les Thugs, Shaking Dolls, Specimen, Hint, Happy Drivers, The Noodles, Black & Noir, Radical, etc. Etait-ce pour autant la vitrine du rock en France, je sais pas. Je crois surtout que ce qui a contribué à la notoriété rock d’Angers, c’est que Les Thugs, un groupe internationalement reconnu, signé sur des labels US importants (Alternative Tentacles, Sub Pop) et tournant régulièrement à l’étranger, en était originaire et, surtout, voulait y rester. Un groupe avec un tel rayonnement international crée forcément une dynamique régionale, surtout s’il est également activiste et militant de la cause rock indé. On pourrait dire la même chose de Noir Désir et de Bordeaux. Ou, dans une proportion moindre, de Real Cool Killers et de Clermont Ferrand. Ce qui est sûr, c’est que dans les années 90 en matière de rock, la Province était aussi importante que Paris. Les groupes d’Angers + ceux de Lyon, Toulouse, Montpellier, Marseille, Besançon, Périgueux, Limoges, La Rochelle, Poitiers, Bordeaux, Clermont-Ferrand, etc… ont construit le paysage musical français.

C’est quand même un pari osé de ressortir les albums des groupes que vous avez dans le label.Avez-vous eu des refus de groupes ne voulant pas participer au projet, ou pour l’instant tout le monde joue le jeu ?
Frank : Pour l’instant, aucun refus. Mais on n’a pas encore contacté tous les groupes avec qui on aimerait travaillé. Dans le lot, il est fort probable que l’un d’eux refuse. Tant pis. On passera au suivant de notre liste.


Revenons à l’époque il y avait une forme d’insouciance, pas les mêmes supports, les gens se démerdaient comme ils pouvaient et ça marchait bien. Aujourd’hui tout est formaté on a l’impression que les gens n’ont plus envie, qu’en pensez-vous. Est-ce que cela joue un rôle dans votre démarche ? 
Frank : Internet a changé beaucoup de choses. C’est un outil qui est devenu indissociable de nos vies et qui permet d’avoir accès à pratiquement tout ce que tu veux, et même tout ce que tu ne veux pas. Et bien sûr, ça a aussi grandement changé notre manière de «consommer» de la musique. Je ne sais pas si, comme tu le dis, les gens n’ont plus envie… mais ils sont probablement assommé par l’information. Néanmoins, il sort beaucoup de choses, des projets sont élaborés plus facilement et touchent plus de personnes, il y a quand même du positif. Mais j’ai l’impression que plus personne ne s’ennuie avec Internet. Ou en tout cas, tout le monde pense ne pas s’ennuyer grâce à Internet. Alors qu’avant, l’ennui nous poussait à réagir, à faire quelque chose, peu importe quoi, du moment qu’on luttait contre cet ennui. L’ennui, la frustration, le manque sont des émotions qui poussent à l’action, et malheureusement Internet pallie aujourd’hui à ce type de sentiments.

Pensez-vous qu’une époque aussi prolifique puisse renaître de nos jours ?
Frank : Les jours actuels sont prolifiques, au moins autant que ceux d’hier, peut-être même plus. J’aime plein de groupes d’aujourd’hui. Sur mon autre label, Slow Death, je sors pratiquement que des nouveaux groupes (Maladroit, Jack And The Bearded Fishermen, Slice Of Life, La Rupture, Le Réparateur, Fat Beavers…), et j’adore presque tout autant des groupes contemporains (Run Forever, Sundials, The Real Danger, Iron Chic, California X, DeeCracks, Sons Of Buddha, Dog Party, Torche, Justine…) que des groupes d’hier. Je ne crois pas que la décennie 90 était meilleure que celle que l’on vit présentement. Elle n’était pas non plus prolifique. On était plus jeune, donc elle nous a marqué plus profondément.
Eric : Chaque époque a des problématiques différentes, les années 80 peuvent me paraître plus jouissives dans la mesure où il fallait tout inventer, on partait presque de zéro, on ne pouvait compter que sur nous. Mais je ne crois pas que l’on puisse opposer les différentes décennies pour ce qui est de la scène, je suis d’accord avec Franck il y a plein de groupes à découvrir aujourd’hui.


C’est un peu rendre hommage à cette scène qui a compté pour nous tous et qui comme vous le dites peut permettre à des jeunes de connaître ces groupes là. C’est un gros combat aussi ?
Frank : C’est beaucoup de temps à y consacrer, oui. Mais ça vaut le coup «pour que les héros du peuple demeurent immortels !»
Eric : Je me rappelle qu’en 77 on écoutait certes du punk rock mais aussi des choses qui s’étaient faites 10 ou 20 ans plus tôt : Vince Taylor, les Seeds, les Sonics, le MC5 etc… Pour nous ce n’était pas de la musique de vieux, c’était les racines de la musique que l’on aimait. On allait chez notre disquaire préféré, on écoutait et on achetait les Peebles par exemple. Aujourd’hui il n’y a plus que des disquaires virtuels ou presque, à nous de mettre en ligne la musique d’il y a 20 ou 30 ans pour qu’elle ne tombe pas dans l’oubli.

Avez-vous le projet de sortir des compilations, ce serait une suite logique pour le label ?
Frank : On a un vieux projet de compiles façon Peebles à la française. J’aimerais bien sortir aussi des compilations de labels, genre tous les EP du Club Single Black & Noir sur un seul disque. Ou les EP des labels Spliff Records, Gougnaf Mouvement, etc. Et pourquoi pas des compilations «régionales», par ville ou par département. Avec des groupes obscurs, peu connus ou juste un petit peu. Je sais pas si ça intéresserait un public. Lorsqu’un disque exhume d’obscurs combos américains ou anglais, y’a du monde pour crier au génie et dépenser 25 euros pour un vinyle. Est-ce que l’engouement serait le même  pour une compilation «17 groupes punk dégénérés de Loire et Haute Loire» ? Pas sûr.
Eric : C’est un de nos premiers projets avec Franck et on va le faire d’une manière ou d’une autre. Il y a tellement de groupes qui n’ont fait qu’une démo ou un 45t et qui méritent de renaitre pour un titre ou deux.

J’ai entendu dire que Pierre-Yves (ex bassiste des Thugs) rejoignait la team. Que va être son rôle ?
Frank : Devenir maire de Angers d’ici 4 ou 5 ans !

Vous avez créé le club Nineteen Something, quel en sera sa fonction ?
Frank : Le Club Nineteen (pas Something), c’est comme un club single, mais avec des CD à la place des 45 tours. Comme le fameux Sub Pop Single Club ou le Club Single de… oh, bin, tiens… Black & Noir (qui a permis à quelques chouettes groupes comme Burning Heads, Drive Blind ou Mad Monster Party de démarrer leur fabuleuse carrière) dans les années 90. On n’invente rien, on ne fait que reprendre une bonne idée. On s’abonne au club pour 35 euros et on reçoit 5 CD durant l’année en cours. Le 45 tours est devenu trop cher à produire, on ne peut donc pas vraiment se lancer dans un Club Single à l’ancienne, d’où l’idée — on verra d’ici quelques mois si elle était vraiment bonne — d’offrir des CD album à la place, des albums rares ou inédits, devenus introuvables ou qui ne sont jamais sortis au format CD. Par exemple, le «Welcome To Hard Times» de Scruba Drivers (seulement sorti en LP par Spliff Records) ou l’album inédit de Casbah Club. 

nineteensomething.fr
www.facebook.com/nineteensomething

Interview : Jean-Louis

Photos : DR

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire